De plus en plus de Français partent vivre à l’étranger tout en télétravaillant pour leur entreprise en France. Du Portugal à la Thaïlande, de nombreux pays les attirent par des visas avantageux. Un phénomène appelé à se développer d’ici à la fin de la décennie.
« Télétravail : Allô bureau bobo. » La 33e édition du festival international du photojournalisme Visa pour l’image de Perpignan a distingué le travail de Jérôme Gence commencé en 2019 sur les travailleurs à distance, de Bali à Lisbonne. À l’époque, la pandémie de Covid-19 n’étant pas encore passée par là, télétravail et nomades numériques – ou digitaux – sont des termes obscurs alors que « près de 60 % des employés et cadres de bureau déclaraient s’ennuyer au travail » d’après le résumé de l’exposition photo récompensée du prix Pierre & Alexandre Boulat 2020 (1). Depuis, les cartes ont été rebattues et vivre à l’étranger tout en travaillant à distance devient une réalité.
« On est sûr au fond de nous que c’est le bon choix »
Partis au Portugal, Peggy, Christophe et leurs deux enfants âgés de 12 et 14 ans commencent un nouveau chapitre de leur vie en tant que nomades numériques. La famille originaire de Béthune dans le Nord a décidé de franchir le cap à la suite d’un tour du monde de huit mois réalisé en 2017. Les confinements successifs en France ne sont venus que confirmer (et retarder) un projet arrêté. « Quand on est rentré, on a eu du mal à se réadapter à une vie sédentaire. Pour repartir, on s’est dit que la seule solution était de vivre à l’étranger tout en travailler en même temps. Sauf qu’à l’époque, nos métiers ne s’y prêtaient pas », confie Peggy.
>> A lire aussi : Télétravailler au bout du monde, pourquoi pas vous ? L’ancienne orthophoniste et son mari, lui-même ancien conseiller financier d’une banque, ont créé en avril, leur propre « société de formation en ligne » d’aides au devoir pour les parents. « On est sûr au fond de nous que c’est le bon choix même si on a des interrogations, notamment sur notre vie de famille. On réévaluera régulièrement la situation pour savoir si ça convient à tout le monde », explique cette mère de « famille atypique ». En plus de trouver un logement à leur arrivée au Portugal, leur priorité sera de s’assurer une connexion wi-fi « de bonne qualité ».
« Croissance exponentielle »
Très prisé, le pays des Œillets est aussi la prochaine destination d’Henri, nomade contemporain actuellement installé à Barcelone après une année en Erasmus. Il travaille « en free-lance » pour une entreprise de logiciels basée en France. « Je n’avais jamais eu l’idée de travailler pour une entreprise à distance et le confinement m’a permis d’en trouver une car elles sont de plus en plus sensibles au télétravail. » Ce « SDR » (pour « représentant du développement des ventes ») considère qu’à l’avenir il aurait « vraiment du mal à retourner au bureau. » D’après Julie Pasquer-Jeanne, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université catholique de l’Ouest Bretagne-Nord, « la crise sanitaire a été un accélérateur » bien qu’une « croissance exponentielle du nombre de nomades numériques » était déjà observée avant le Covid-19. Avec Florence Gourlay, Claire Mahéo, Clément Marinos, l’universitaire travaille depuis quatre ans sur un projet de recherche (2) autour de cet enjeu apparu progressivement depuis les années 1990 avec « le développement des technologies de l’information, de la communication et notamment l’avènement d’Internet et des ordinateurs personnels. »
Les nomades numériques ne sont pas à confondre avec les salariés en télétravail depuis leur salon. Ils travaillent principalement dans l’informatique, le webdesign ou la publicité en ligne comme indépendant ou pour une grande entreprise.
De plus, les chercheurs relèvent l’importance de vivre à pas plus de deux heures d’un aéroport et respecter leur « time zone de travail ». D’autres critères comme le confort de vie sont à prendre en compte. Ainsi, les chercheurs notent la surreprésentation des îles comme Bali ou les Canaries devenues les « destinations favorites » des nomades numériques.
Avantages pécuniaires
Ces derniers recherchent avant tout une nouvelle qualité de vie, loin des tumultes urbains. « J’avais l’impression de perdre mon temps dans mon travail et j’avais besoin de plus de sens dans mon activité. Vivre à l’étranger est un avantage pour développer sa créativité et c’est plus motivant comme environnement que de travailler à La Défense à Paris dans la grisaille », se rappelle Fabrice Dubesset, nomade numérique installé depuis dix ans en Colombie, devenu blogueur voyage après une carrière comme documentaliste. Comme pour nombre de nomades numériques, l’auteur d’un livre sur son expérience (3) confirme l’importance du rapport entre revenus et coût de la vie sur place. Avec environ 2 000 € net par mois, « on vit mieux en Asie du Sud-Est qu’à Paris ». Avec l’effondrement du tourisme, de nombreux pays, du Costa Rica à l’Indonésie en passant par la Thaïlande, la Géorgie ou la Grèce, ont compris l’intérêt d’attirer les nomades numériques par des visas de travail offrant, entre autres, des avantages fiscaux. Ainsi, une trentaine de villages situés dans la province espagnole de Teruel se sont regroupés en réseau pour redynamiser la vie locale. Dans l’archipel portugais de Madère, les autorités locales ont aménagé des villages numériques. En Europe, plusieurs dizaines de millions de personnes pourraient être tentées par ce mode de vie d’ici à la fin de la décennie, selon certaines estimations.
(1) Exposition accessible gratuitement jusqu’au 26 septembre. (2) Les nouvelles situations d’intermédiation territoriale : l’exemple des « quart-lieux » périphériques (espaces de coworkation). (3) « Libre d’être digital nomad », Ed Diateino.
La version originale de cet article a été publié sur la-croix.com
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