En raison de la réduction des trajets domicile-travail, le télétravail apparaît comme l’une des solutions contre la pollution. Mais les effets rebond sont nombreux et difficiles à mesurer.
Rester chez soi au lieu d’aller au bureau pour sauver la planète? Ce mardi 2 novembre, en pleine COP26 qui se tient à Glasgow, en Écosse, le Parlement a adopté définitivement un texte visant à verdir le numérique. De quoi s’interroger sur l’impact du télétravail, qui implique l’usage de nombreux outils numériques, sur l’environnement. Alors que 29% des salariés travaillent aujourd’hui à distance d’après un sondage Ipsos publié début octobre, et qu’ils pourraient être 50% d’ici à 2050 selon les prévisions du Sénat, l’essor du télétravail se fera-t-il sentir sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) ? “Il est trop tôt pour véritablement connaître l’impact environnemental du télétravail”, tranche d’emblée Françoise Berthoud, ingénieure de recherche en informatique au CNRS et directrice d’EcoInfo, un groupe de travail du CNRS qui vise à réduire les impacts environnementaux du numérique. Si le télétravail réduit les déplacements domicile-travail et les kilomètres parcourus en voiture, un certain nombre d’effets rebond liés au numérique ou au chauffage estompent l’impact positif sur la qualité de l’air. Or, il est difficile de tirer un bilan carbone précis de la demande d'énergie hors transport. Les études sur le sujet sont peu nombreuses, parfois contradictoires, et dépendent d’un nombre considérable de facteurs, comme le mode de chauffage, les usages du numérique ou les logements.
Une réduction des trajets domicile-travail...
Une chose est sûre néanmoins: travailler de chez soi réduit les trajets domicile-travail. Or, aujourd’hui 7 Français sur 10 utilisent leur véhicule pour se rendre au travail, alors que le secteur des transports est l’un des plus gros contributeurs de GES en France, totalisant 31% des émissions globales en 2019 selon les chiffres du gouvernement. “Le télétravail peut devenir une solution positive pour l’environnement, parce qu’il réduit les déplacements pour aller au travail, l’une des causes principales des émissions de gaz à effet de serre”, explique Sylvie Landriève, directrice de Forum vie mobile, le think thank de la mobilité soutenu par la SNCF, qui a réalisé plusieurs études sur le sujet.
Travailler à domicile un jour de télétravail par semaine permettrait de réduire le volume des déplacements de 69%, et les distances parcourues journalières de 39%, selon l’étude de référence de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), publiée en septembre 2020. Le bénéfice environnemental moyen est donc de 271kg équivalent carbone annuels par jour de télétravail hebdomadaire, poursuit l’agence. “Le télétravail offre un potentiel considérable de réduction de la mobilité avec des effets favorables sur la congestion et les émissions de GES et polluants”, se réjouit l’Ademe. Un bilan "provisoire", nuance toutefois l’Ademe, en raison des “effets rebonds latents qui pourraient se matérialiser à moyen terme”.
...mais des trajets plus longs
D’abord, les gains en matière de mobilités sont à nuancer en raison de l’effet relocalisation : télétravailler pousse à s’installer plus loin. “C’est très simple, les individus acceptent de réaliser des distances plus longues si elles ne sont pas subies tous les jours”, explique Frédéric Héran, maître de conférences à l'université de Lille-1, chercheur au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques. Les télétravailleurs ont davantage tendance à se relocaliser en zone péri-urbaine ou rurale et ont plus recours à leur voiture, estime le chercheur. Par ailleurs, les mobilités en chaîne peuvent être transformées en mobilité “étoile”, autour du domicile du télétravailleur, avec des déplacements pour emmener ses enfants à l’école, faire ses courses, participer à la vie associative, transporter des proches, etc. Enfin, le véhicule rendu disponible peut être utilisé par d’autres membres de la famille.
Une enquête publiée en juin 2020 sur la plateforme Science direct par une équipe de chercheurs internationaux, révèle notamment que les changements inattendus dans les comportements conduisent à une hausse des GES de 50%. D’après l’étude, les télétravailleurs réalisent 13 déplacements par semaine pour les activités hors travail, contre 8 pour les autres. Une autre étude réalisée par Forum vies mobiles, aboutit à des résultats semblables. Le télétravail ne va pas de pair avec une réduction des GES puisque “les télétravailleurs ont tendance à vivre plus loin (+10%)” et à “avoir des distances à parcourir plus longues que les travailleurs qui ne disposent que d’un seul lieu fixe de travail en dehors de chez eux”, explique le forum. En somme, en matière de mobilités, le bénéfice du télétravail sur les émissions de GES est “quasi nul”, selon Frédéric Héran, “voire même négatif, selon certaines études”. “On sait qu’il n’y a pas de gains, poursuit le chercheur. En revanche, l’impact précis du télétravail sur les émissions varie selon les études."
De nouveaux déchets numériques
Par ailleurs, la pollution numérique constitue un autre effet rebond du télétravail mais varie, là encore, selon un certain nombre de facteurs. Le développement de la visioconférence, dont l’utilisation a été multipliée par 20 pendant le confinement, pourrait peser lourd sur l’environnement. L’Ademe a évalué son effet à 2,6 kg équivalent CO2 par an et par jour de télétravail, en reprenant les calculs de Greenspector (une start-up qui aide les entreprises à réduire leur empreinte numérique). D’autre part, le suréquipement (le matériel informatique et les téléphones doublés, au domicile et au bureau) génère des nouveaux déchets numériques.
Si le numérique ne représente aujourd’hui que 4% des GES dans le monde, ce chiffre pourrait augmenter sous l’effet du télétravail “Ce qui est problématique, c’est que les équipements deviennent de plus en plus performants. Si les télétravailleurs s’équipent d’écrans géants ou allument leur caméra de visioconférence toute la journée en ayant recours à la 5G, l’impact serait catastrophique”, alerte l’ingénieure en informatique au CNRS Françoise Berthoud. Et de nuancer: “Tout dépend de nos usages. Si les utilisateurs éteignent leur caméra pendant les visioconférences, l’impact s’en trouve largement réduit. Il faut viser une sobriété numérique et revenir à une forme de simplicité et d’adéquation aux besoins”. Un objectif mis en exergue par le texte voté par le Parlement pour verdir le numérique, qui soutient le recyclage et le réemploi des appareils électroniques pour réduire leur impact sur l’environnement.
Outre la mobilité et le numérique, la hausse de la consommation d'énergie à domicile (chauffage, climatisation, éclairage, préparation du repas…) vient également estomper les effets favorables du télétravail. Une étude allemande datant de 2014 montre que le télétravail accroît la consommation d'énergie domestique de 10%, tandis que celle du bureau reste stable puisque les locaux restent ouverts pour accueillir les salariés en présentiel. Parmi les effets pervers du télétravail figurent enfin les effets "indirects" liés à l’augmentation du pouvoir d’achat et à l’extension potentielle du logement. Les économies de carburant peuvent pousser les télétravailleurs à s’offrir un téléphone portable plus performant, ou un déplacement en avion par exemple.
Quelles solutions pour rendre le télétravail écologique ?
S’il est difficile, à ce stade, de connaître avec certitude les impacts négatifs du travail à distance sur la planète, on peut d’ores et déjà tenter de les réduire. “Plutôt que de s’opposer a priori au télétravail en pointant ses effets rebond qu’on ne peut pas mesurer, l’enjeu est plutôt d’accompagner ce mouvement pour en faire un outil”, assure la directrice du Forum vies mobiles Sylvie Landriève. Parmi les solutions envisagées, la directrice esquisse un réaménagement du territoire qui favoriserait une plus grande proximité de divers services qui permettrait aux télétravailleurs de réaliser l’ensemble de leurs déplacements quotidiens autrement qu’en voiture. “On peut alors profiter du réaménagement pour construire des alternatives à la voiture, transports collectifs cadencés, services de partage plus efficaces, réseaux dédiés de voies piétonnes et cyclables”, explique-t-elle. Autre possibilité, installer des services de télétravail, comme des espaces de coworking ou de bureaux partagés, ce qui limiterait le risque de voir la surface moyenne des logements doubler.
La version originale de cet article a été publiée sur Challenges.fr
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