Autour des télétravailleurs nomades, qui parcourent le monde en quête de soleil et d'Internet à haut débit, se construit tout un écosystème, notamment composé d'agences de voyages spécialisées. Aux nouvelles modes, les nouveaux profits.
« Ce qui était une niche est devenu plus conventionnel », explique à l'AFP Emmanuel Guisset, lui même nomade numérique belge et fondateur d'Outsite. Son site propose aux indépendants ou salariés qui travaillent à distance une vingtaine d'espaces réunissant logements et bureaux partagés. Les prix varient de 700 euros par mois au Portugal, à 2.500 euros pour Los Angeles.
« Quand tout sera rétabli, ça va exploser »
Créé en 2015, Outsite a vu son activité ralentie par la fermeture de ses espaces pendant les premiers mois de la pandémie. Mais l'entreprise a reçu 30% de réservations de plus qu'en 2019, et le nombre d'inscriptions sur son site a triplé. « Quand tout sera rétabli, ça va exploser, et on a beaucoup d'espérance pour 2021 », assure l'entrepreneur, qui voit la pandémie et le bond du télétravail comme « un tremplin ».
Les réservations pour ses espaces au Costa Rica et à Hawaï ont déjà augmenté de moitié. En même temps, le Costa Rica, comme sept autres pays, ont mis en place un système de visa spécial pour les télétravailleurs étrangers en quête d'un cadre de rêve pour leurs réunions Zoom. « Jusque-là, la réticence des entreprises bloquait le mouvement », observe le startuppeur. Mais depuis quelques mois, il a été contacté par une vingtaine de sociétés « qui veulent payer des séjours à leurs salariés, ça devient une façon de retenir les talents ». Et une manière pour l'entreprise de se dissocier d'autres employeurs qui obligent leurs salariés au présentéisme ... même quand ils peuvent travailler à distance (et que l'ordre vient du chef d'Etat).
Ambroise Debret, freelance en marketing web et « nomade numérique » depuis quatre ans, a vécu à l'automne dernier dans l'espace Outsite de Lisbonne. « Beaucoup de mes amis digital nomads y allaient, c'est un peu comme si on allait au bureau ensemble, en fait », sourit-il. Télétravailler ensemble est aussi une pratique qui se fait entre amis pour lutter contre l'isolement professionnel. On remplace les collègues par des tiers choisis. C'est, pense le chercheur français Clément Marinos, l'un des « paradoxes » des nomades numériques qui ont « à la fois un besoin de connexion avec le local, et un besoin d'appartenance à une communauté ». Pour sa part, Maurie Cohen, professeur à l'Institut Technologique du New Jersey, parle d'un « écosystème » dans lequel « les nomades numériques se vendent entre eux des services ou différentes formations ».
Compenser l'absence des touristes
C'est aussi pour répondre à ce besoin de sociabilité que le Français Matthieu Zeilas a co-fondé l'entreprise Palma Coliving. En Espagne, il loue plusieurs maisons, à partir de 850 euros par mois pour une chambre individuelle. Pour ce prix, les colocataires peuvent profiter d'un espace de travail, d'un coin méditation et d'une piscine, mais aussi participer à des ateliers et des évènements pour se créer un réseau. Avec la promesse de « doper leur productivité » tout en « échappant à la routine ».
L'entrepreneur a ouvert sa première villa à Majorque en août dernier, et a reçu plus de 200 demandes de réservation : « La pandémie, ça m'a carrément ouvert des possibilités, on répond à une vraie problématique. » Il cherche aussi à compenser l'absence des touristes, en proposant aux propriétaires qui n'arrivent plus à louer leurs propriétés sur Airbnb de les lui confier. Il espère, à terme, proposer trente nouvelles destinations.
Yacine Bakouche, président de l'agence de voyages Best of Tours, mise lui aussi sur « l'évolution vers plus de télétravail » pour proposer des séjours de quelques semaines à des télétravailleurs en mal de nature ou de dépaysement. Son projet, retardé par la crise sanitaire, devrait être lancé en mars en privilégiant d'abord des destinations françaises, comme l'Ardèche ou la Franche-Comté.
Néanmoins, le cadre de rêve et les amis-co-télétravailleurs n'empêchent pas les incivilités numériques subies à distance. Les micro-conflits s'accumulent sans pour autant qu'ils puissent être désamorcés par une franche discussion à la machine à café. Peut-être là une des limites du nomadisme numérique ?
La version originale de cet article a été publiée sur Start Lesechos.fr
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