Alors que les mesures pour endiguer la crise sanitaire liée au coronavirus s’intensifient, certains employeurs s’obstinent à refuser le télétravail à leurs salariés. Ce en dépit des propos de la ministre du Travail, selon laquelle “les entreprises sont obligées de l’accepter”.
A écouter la ministre du Travail, l’affaire semble entendue. Interrogée le 18 mars 2020 sur l’attitude à adopter par les employeurs pour permettre à leurs salariés de se mettre en télétravail, Muriel Pénicaud a tranché. “Le télétravail est automatique, impératif. Tous ceux qui peuvent travailler en télétravail doivent travailler en télétravail. Les entreprises sont obligées d'accepter”, a ainsi affirmé la membre du gouvernement sur Radio Classique. Des propos qui confirment son message adressé aux employés dans l’émission Les 4 Vérités le jour même sur France 2 : “Si vous êtes salarié et que votre travail peut être fait en télétravail, il faut rester chez vous. C'est un droit automatique.”
Et pourtant, de nombreux travailleurs sont “forcés” de venir accomplir leur tâche sur leur lieu de travail, se heurtant au refus catégorique de leur hiérarchie. Questionnée sur l’attitude à adopter par le salarié dans ce cas de figure, Muriel Pénicaud s’est là encore montrée inflexible : “Il se met en télétravail quand même.” L’employeur doit accepter… mais peut refuser
Mais que vaut la parole d’une ministre face à la loi ? “Il n’y a pas de possibilité d’imposer le télétravail de la part du salarié, rappelle Delphine Robinet, avocate spécialisée en droit social et associée du cabinet Via Juris. Ce qui compte, ce sont les écrits.” Et la loi plaide actuellement pour l’employeur. L’article L.1222-11 du Code du travail modifié par ordonnance en septembre 2017 dispose en effet que, “en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés”. En cette période inédite, l’employeur peut donc décider de placer son salarié en télétravail.
Mais l’employé peut-il, lui, l’imposer ? Sur son site internet et son “questions/réponses pour les entreprises et les salariés” mis à jour le 20 mars, le ministère du Travail laisse toujours planer le doute. “Je peux donc demander à mon employeur à bénéficier du télétravail jusqu’à nouvel ordre. Si mon employeur me donne son accord, cela peut se faire par tout moyen”... mais explique à la suite que “son refus (celui de l’employeur, NDLR) doit être motivé”. Votre sécurité avant tout
Pour Guillaume Roland, avocat au barreau de Paris et associé au cabinet Herald, la situation est pourtant moins déséquilibrée qu’il n’y paraît. Car du point de vue du droit, “l’employeur doit absolument prendre toutes les précautions pour garantir la sécurité des salariés”. Ce spécialiste du droit social prévient les employeurs récalcitrants : “Si jamais un employeur fait venir le salarié alors que le télétravail est possible et qu’il y a contamination sur le lieu de travail, l’infection sera qualifiée de maladie professionnelle. Il n’aura pas pris toutes les précautions et sa faute inexcusable sera engagée.” A la clé pour l’employeur, des indemnités qui peuvent être très lourdes et une possible mise en cause au pénal. Si vous travaillez dans un secteur où le risque d’infection est fort, cet argument pourrait faire céder votre employeur, celui-ci se retrouvant face à ses responsabilités.
La menace du droit de retrait
Que faire si votre patron s’obstine malgré tout à vous refuser le télétravail ? “L’employeur qui joue au forcing s’expose”, assène Guillaume Roland. Face au refus de son patron, le salarié est en effet libre d’exercer son droit de retrait selon l’avocat. Une prérogative qui permet de “se retirer d'une situation de travail dont le travailleur a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé”, selon l’article L4131-1 du Code du travail. En exerçant votre droit de retrait, vous ne travaillez pas tout en restant payé. Un argument qui pourrait faire mouche et persuader votre patron de vous accorder le télétravail. Et s’il y a quelques jours encore, le droit de retrait était soumis à ce “motif raisonnable de penser qu'une situation présente un danger grave et imminent pour sa santé”, la propagation de l’épidémie a tout changé selon Guillaume Roland. “Aujourd’hui, le simple fait d’avoir le sentiment d’être en danger justifie le droit de retrait. Et une personne raisonnable peut considérer qu’elle prend un danger en se rendant dans la rue ou dans les transports, assure-t-il. Chaque sortie - à entendre le gouvernement et les scientifiques - vous met en danger.” Dès lors, l’employeur ne peut légitimement plus forcer son salarié à venir travailler.
La version originale de cet article a été publiée sur Capital.fr
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